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Channel: Tadeusz Biernacki – La Liberté
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Fidelio bouleversant

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Le Fidelio de l’Opéra du Manitoba est probablement l’une des plus grandes réussites de la compagnie. Présentée dans le cadre de l’inauguration du Musée canadien des droits de la personne les 22, 25 et 28 novembre 2014, cette magnifique et bouleversante production constitue un événement exceptionnel de sensibilisation à la cause des milliers de prisonniers politiques détenus un peu partout dans le monde.

L’opéra est basé sur une pièce de Jean-Nicolas Bouilly, inspirée d’un fait divers véridique survenu pendant l’épisode de la Grande terreur qui a suivi la Révolution française. Le mari de Léonore, Florestan, est emprisonné en secret dans un cachot à cause de son opposition aux exactions du colonel Pizarro, gouverneur de la prison. Travestie en homme et prenant le nom de Fidelio, Léonore s’est engagée comme garde à la prison dans l’espoir de libérer son mari. Après quelques péripéties, Fidelio accède au cachot de Florestan avant que Pizarro n’y arrive pour l’assassiner et lui sauve la vie.

Éléonore ( Ileana Montalbetti) et Florestan (David Pomeroy).

Éléonore ( Ileana Montalbetti) et Florestan (David Pomeroy).

Admirateur de la Révolution française et de ces principes fondateurs, « Liberté, Égalité, Fraternité », Beethoven était un idéaliste qui rêvait d’un monde nouveau fondé les valeurs de l’amour, de la foi, de la fraternité, de la compassion, de l’espérance, de la fidélité et de la liberté. Cette histoire lui permettait d’exprimer pleinement ses idéaux dans son premier et seul opéra. Grand compositeur mais mauvais dramaturge, ce n’est qu’après plusieurs révisions de la première version de 1805, qui fut un échec, que Beethoven a mis la touche finale à la version définitive, avec le titre Fidelio, en mai 1874.

Pour éviter des ennuis politiques, Beethoven avait campé l’action de son opéra en Espagne. Pour accentuer son actualité, la production de l’Opéra du Manitoba la situe en Allemagne de l’Est, en ce mois de célébration du 25e anniversaire de la chute du mur de Berlin. La compagnie a fait de cette production un événement d’éducation et de sensibilisation à la cause des prisonniers politiques dans le monde. À leur entrée dans la salle, les spectateurs trouvent sur leur siège une fiche présentant une personne présentement détenue pour des raisons politiques, comme Matluba Kamilova, avocate et activiste de l’Ouzbékistan, reconnue pour sa lutte contre la corruption et sa promotion des droits humains, condamnée en 2010 à 9 ans de prison pour une prétendue possession de drogue. Larry Desrochers, directeur de la compagnie, a rappelé qu’ils avaient beaucoup plus de noms de prisonniers politiques que de sièges disponibles. Pour le tableau final de la libération des prisonniers et de l’Ode à l’amour, près d’une cinquantaine de réfugiés de différents pays ont été invités sur scène comme figurants. Plusieurs d’entre eux ont raconté leur histoire sur le site Internet de Manitoba Opera. En collaboration avec des organismes de défense des droits de la personne, l’Opéra du Manitoba a aussi organisé un colloque sur les prisonniers politiques dans le monte le 24 novembre, au Musée canadien des droits de la personne.

Choeur des prisonniers libérés

Choeur des prisonniers libérés

Le succès de cette production ne repose pas sur la performance de l’un ou l’autre des participants. On sent que chanteurs, choristes et musiciens se sont tous engagés avec cœur et conviction dans ce projet. L’intensité dramatique et émotive est telle que l’attention se concentre rapidement sur le drame qui se joue et ne se laisse pas distraire par les détails. Aucun chanteur n’a cherché à épater la galerie en forçant la voix ou le jeu, démontrant ainsi beaucoup de respect pour la gravité du sujet. La musique de Beethoven ne cherche d’ailleurs pas à faire valoir la virtuosité des chanteurs mais à soutenir le sens et l’émotion du texte et des situations. La soprano canadienne Ileana Montalbetti, Léonore, le ténor canadien David Pomeroy, Florestan, la basse américaine Valerian Ruminski, le geôlier Rocco, la soprano winnipegoise Lara Secord-Haird, Marzelline, fille du geôlier, le ténor canadien-irlandais Michael Colvin, Jaquino, le portier et soupirant de Marzelline, le baryton-basse américain Kristopher Irmiter, Pizarro, et le manitobain David Watson, Fernando, le ministre du roi qui fait arrêter Pizarro, ont tous excellé. Peut-on demander davantage à un chanteur d’opéra que de faire vivre son personnage avec émotion et vérité?

Comme on l’a dit, Beethoven n’était pas un très bon dramaturge, ce qui ne facilite pas le travail du metteur en scène. La mise en scène de Larry Desrochers est sobre, bien adaptée au rythme de l’action et à l’esprit de l’œuvre. La réunion de Léonore et Florestan dans le sombre cachot souterrain est extrêmement touchante. En voyant son mari enchaîné et gisant presque mort en entrant dans le cachot, elle résiste à l’envie de révéler son identité en se précipitant immédiatement vers lui. Même au moment où elle lui donne un peu de pain, elle évite de le toucher ou de se faire reconnaître. Ce n’est qu’après l’avoir sauvé qu’elle se rapproche lentement de lui pendant qu’ils chantent leur amour et leur joie de se retrouver. Ils ne s’embrassant qu’à la toute fin, leur amour prenant alors une dimension presque mystique, amour qui sera glorifié dans l’ode finale chantée sous un soleil éclatant hors des murs de la prison.

Préparés par Tadeusz Biernacki, les chœurs ont été magnifiques, particulièrement dans le long et exigeant final, qui se termine par une ode grandiose à gloire de l’Amour, dont Beethoven s’inspirera quelques années plus tard pour l’Ode à la joie qui conclut la 9e Symphonie. On sent tout au long de l’opéra le génie de Beethoven, le plus grand symphoniste de l’ère romantique. Dirigé par Tyrone Paterson, l’Orchestre symphonique de Winnipeg a été impeccable.

Le décor et les costumes ont été conçus par Sheldon Johnson et réalisés localement. Inspiré de l’architecture brutaliste (en béton brut) les décors représentent les murs opaques de la prison et peuvent aussi évoquer les murs érigés pour isoler des populations, comme le mur de Berlin. Les costumes sont simples et caractérisent bien les personnages. L’éclairagiste

 a créé des atmosphères bien appropriées aux situations.

Ce spectacle exceptionnel sera repris le mardi 25 novembre à 19 h 30 et le vendredi 28 novembre à 20 h, à la Salle de concerts du Centenaire de Winnipeg.

Pierre Meunier


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